Objectif Transmission

Projet de traduction en français des textes fondateurs de la tradition juive

Le Midrash sur les Proverbes

Le Midrash en général et la place du présent midrash.

Le terme de midrash est issu de la racine hébraïque darash : chercher, fouiller. Le Midrash peut donc être défini comme une lecture fouillante de la Bible. C’est une explicitation du texte biblique mais sous une forme particulière : le commentaire fait appel à de nombreuses techniques (jeu de mots, utilisation de versets bibliques hors de leur contexte, situation anachronique des personnages, mise en rapport de versets utilisant les mêmes mots, etc.) et n’hésite pas à prendre de nombreuses libertés avec le texte, mais toujours dans le but d’en faire jaillir le sens. Cela est issu de la conception selon laquelle il n’y a pas de « parole vide » dans le texte biblique.
Mon but n’est pas d’expliciter en détail les caractéristiques du midrash, le lecteur pourra se reporter aux excellents ouvrages disponibles en langue française 1. Je voudrais simplement situer le texte qui nous intéresse dans l’immense littérature rabbinique. Si l’on omet tous les midrashim proprement halakhiques (c’est-à-dire qui s’occupent de questions légales), le midrash le plus ancien est le Midrash Rabba. Cette somme réunit des midrashim sur l’ensemble de la Torah (ou Pentateuque) ainsi que sur les Méguilot (ou Hagiographes). Une place vide est laissée aux prophètes ainsi qu’aux écrits ne faisant pas partie des cinq Méguilot. Il est vrai que des commentaires de certains versets de ces livres peuvent être trouvés dans le Midrash Rabba, les Talmuds, et plus généralement dans la littérature midrashique. Mais, aucun midrash ne traite spécifiquement de ces ouvrages si ce n’est trois livres dits « mineurs » : le midrash sur les Livres de Samuel (Midrash Shemuel), le midrash sur les Psaumes (Midrash Tehilim) et le Midrash sur les Proverbes (Midrash Mishlé). Ce sont des textes généralement tardifs (du Vème au XIIIème siècle). Mais si ces ouvrages reprennent des commentaires que l’on peut trouver dans le Midrash Rabba ou dans les Talmuds, ils conservent beaucoup de traditions originales. C’est pourquoi ils se révèlent de première importance. De plus, ils constituent une mine d’informations irremplaçable quant à l’évolution de la pensée juive au cours des âges.

• Le Midrash Mishlé

Datation et caractéristiques générales
La datation d’un texte tel que le Midrash Mishlé est d’une grande difficulté. On sait que l’ensemble des textes de ce genre comportent des commentaires de datations très diverses. C’est également le cas de notre ouvrage et la seule date que l’on puisse examiner est celle de la clôture du texte. Pour celle-ci les dates avancées par les spécialistes varient du VIème au IXème siècle sans que l’on puisse la préciser davantage à cause de l’hébreu employé qui est peu caractéristique d’une époque ou d’une autre.
Certains chercheurs ont supposé que le texte que nous possédons est une forme lacunaire d’un midrash plus complet car le commentaire du texte n’est pas systématique. En effet, les chapitres 3 et 18 du Livre des Proverbes ne bénéficient d’aucun commentaire, alors que d’autres ne sont que peu commentés (chapitres 4, 7, 12, 17, 24, 28 et 29). Le débat est toujours ouvert. Toutefois, ce midrash possède une structure classique. Les premiers chapitres sont abondamment commentés (en particulier le chapitre 1). Et ce commentaire se fait de plus en plus laconique au fur et à mesure du parcours de l’ouvrage. Il se termine malgré tout par deux chapitres (chapitres 30 et 31) de volume important.

Contenu du texte.


Le rôle principal de ce midrash est occupé par la Torah ou plutôt par l’étude de la Torah. Il ne faut pas voir uniquement sous cette expression l’étude des cinq premiers livres de la Bible, mais l’étude de l’ensemble de la littérature rabbinique (Michna, Talmud, midrashim et ouvrages mystiques). Un passage particulièrement emblématique de ce thème se trouve au chapitre 10 où, au jour du jugement, Dieu procède un véritable interrogatoire de la connaissance de l’homme jugé. En fonction de l’étendue de son savoir, il sera ou non jeté dans la Géhenne. De plus, un nombre impressionnant de commentaires rattache le texte du livre des Proverbes à l’étude de la Torah. Cette conception est toujours présente dans la littérature midrashique, mais elle occupe dans ce midrash une place particulière : l’étude de la Torah y est explicitement salutaire et la résurrection en dépend comme le dit elliptiquement R. Yehochoua au chapitre 18 : « la Torah ne parle pas des morts, mais des vivants. » C’est-à-dire qu’il ne suffit pas d’observer les commandements et de faire de bonnes actions, il faut également étudier la Torah et pour cela l’avoir reçue.
Cet aspect est naturel puisque la lecture rabbinique du livre des Proverbes insiste sur le fait que celui-ci en fait commente les autres livres bibliques. Il est donc un « prototype » de l’étude de la Torah. Le Midrash Mishlé insiste également sur le fait que le Livre des Proverbes est cohérent avec les autres ouvrages bibliques, ce qui justifie son entrée dans le canon (Cf. chap. 25).
On y trouve également de nombreux matériaux originaux. Notons, par exemple, le développement autour de l’histoire de Joseph et ses frères (chap. 1), le récit détaillé de la rencontre de la reine de Saba et de Salomon (chap. 1), un récit de la mort de Moïse (chap. 14), un récit hilarant sur Coré et les franges bleues (chap. 11).
Mais, les personnages bibliques ne sont pas les seuls à bénéficier de long développements. Certains rabbins en sont également l’objet. On peut citer par exemple, la mort de R. Aquiba (chap. 9), le dialogue entre Vespasien et R. Yohanan ben Zakaï (chap. 15), le récit de la mort des deux fils de R. Méir (chap. 31), etc. L’ensemble de ces midrashim aggadiques font de cet ouvrage un texte de première importance.

Signalons pour terminer que le Midrash Mishlé n’est pas uniquement midrashique. Parfois, il justifie un verset en citant simplement le verset suivant. C’est une des singularité de ce texte.


Texte et traduction.


Le texte hébreu traduit ici est établi à partir de l’édition critique de B. L. Visotzky 2 qui constitue le travail le plus abouti sur ce texte. Je renvoie évidemment à ce travail très précieux dans lequel le lecteur trouvera un ensemble de variantes ainsi que des commentaires critiques d’un grand intérêt.
Dans la présente traduction, j’ai tenté de suivre scrupuleusement le texte avec un souci double : obtenir une traduction intelligible pour des lecteurs peu familiers du midrash, mais suffisamment proche du texte pour que le lecteur hébraïsant puisse pleinement profiter de cette édition bilingue. J’espère avoir atteint ce juste milieu.
Visotzky a lui-même proposé une traduction en anglais de son édition critique3. J’ai toujours consulté ses leçons d’une grande perspicacité, mais je m’en suis régulièrement éloigné de façon à rendre le côté elliptique du discours midrashique. J’ai pensé qu’une édition bilingue autorisait ce genre de liberté.
Bien qu’artificielle, j’ai conservé la numérotation classique du midrash de façon à ce que le lecteur puisse accéder directement à un passage signalé dans la littérature. Cela comporte une difficulté: le texte traduit, bien que très proche, n’est pas le texte courant de ce midrash, ainsi quelques rares paragraphes manquent dans la présente traduction 4.
J’ai ajouté entre crochets des mots ou morceaux de phrases capables de rendre intelligible ce texte à sa première lecture. De plus, j’ai usé de la majuscule lorsque le discours se rapportait à Dieu. Il ne faut pas y voir une marque de respect excessive mais plutôt une manière d’ajouter du sens au texte : le lecteur peut, de cette manière, savoir si Dieu est l’objet ou le sujet du discours. J’ai également opté pour une transcription imprononçable du tétragramme divin : YHWH.
Pour les citations bibliques, j’ai utilisé la traduction de la Bible de Jérusalem que j’ai adaptée en fonction du commentaire midrashique. Il est, en effet, très courant que le midrash n’utilise pas le sens contextuel, auquel cas j’ai rendu le sens commenté ou l’ai signalé en note.
Enfin, le but de cette traduction n’étant pas d’obtenir une édition critique mais de donner enfin à lire ce midrash en français, je n’ai pas signalé les parallèles des commentaires que l’on trouvera dans ce midrash avec ceux de la littérature midrashique en général. Les seules références que l’on trouvera sont celles de la Michna qui est citée plusieurs fois dans le texte.

Sandrick Le Maguer