Objectif Transmission

Projet de traduction en français des textes fondateurs de la tradition juive

Introduction au Midrash Rabba sur le Deutéronome

Cet avant-propos ne prétend pas rendre compte de l’ensemble du contenu du Midrash Rabba sur le Deutéronome. Il se veut une simple préparation au travail sur ce texte. 

Travail et non lecture, tant il est vrai qu’on ne lit pas le midrash, comme on lirait un roman ou même un essai mais plutôt comme on consulte un dictionnaire ou une encyclopédie. Le Midrash serait le dictionnaire ou l’encyclopédie du Judaïsme. A ceci près que si l’ordre d’un dictionnaire est réglé par celui, arbitraire, de l’alphabet, l’ordre des idées du midrash obéit à des règles plus subtiles qu’il appartient au seul lecteur de dégager.

La lecture du midrash est donc avant tout un travail permanent de questionnement. Voilà qui nous fait entrer de plain pied dans notre texte. Deutéronome Rabba possède une particularité par rapport aux autres midrashim, plusieurs sections ou paragraphes commencent par l’énoncé et la discussion d’une halakha. On se demandera donc la raison d’une telle étrangeté. Est-ce parce que le Deutéronome est une récapitulation de la Loi ? (le livre est aussi appelé mishné tora) et donc que le midrash commence immédiatement à le questionner comme le fait la mishna ? En l’occurrence, notre texte se demande d’emblée s’il est permis d’écrire un rouleau de la tora en une autre langue que l’hébreu. 

Curieuse préoccupation du Midrash: Dieu vient de transmettre la Loi à Moïse, et Moïse de retransmettre cette loi aux Israélites. A peine a-t-on reçu la Loi qu’il faut déjà la récapituler, l’enseigner, et que se pose le problème de la transmission. Répéter en un autre idiome, est-ce répéter correctement ? Une autre langue que l’hébreu n’est-elle pas impure ? D’où une discussion, au terme de laquelle R. Gamliel souhaite limiter cette tolérance au grec, langue qui lui semble la seule suffisamment belle et raisonnable pour supporter la parole de Dieu. Le lecteur doit cependant rester vigilant car la discussion va bifurquer vers un autre sujet, non du fait d’une “pensée confuse” du midrash, mais parce que le mot langue (lashon) ne signifie pas seulement idiome, mais aussi organe de la « disance » et habileté discursive, sens qui vont être maintenant sollicités. Les paroles de la tora, nous dit le midrash, auraient le pouvoir de guérir la langue. Et le midrash de se lancer dans un jeu de piste scripturaire afin de prouver par divers versets de la Genèse et d’Ezéchiel, le rapport improbable entre la tora et la guérison de la langue. Sur quoi, un intervenant vient clore l’exercice en faisant remarquer que ce rapport est évident, puisque Moïse n’était pas, au départ (avant la donation de la Loi) un homme de discours (Ex 4, 10) mais que, maintenant - après la donation - Moïse retransmet à Israël les devarim, les paroles que Dieu lui a transmises. Moïse a donc bien été guéri dans l’intervalle. Inversement, on comprend que la mauvaise transmission de la parole divine a à voir avec une maladie de la langue, le lashon ha-ra’ (littéralement la mé-disance). Voilà sans doute la seule langue impure. Si la tora qui est la bonne compréhension de la parole divine, guérit la langue, on peut donc l’écrire en toute langue. CQFD.

Le Midrash Rabba sur le Deutéronome contient de nombreux passages de ce genre qu’il importe de scruter patiemment. Encore ne s’agit-il là que d’une simple notation du midrash.

Lorsque le midrash élabore plus en profondeur certains thèmes, nous avons à faire à ce que nous appellons de véritables formations midrashiques. Deutéronome Rabba renferme plusieurs formations midrashiques importantes. La principale d’entre elles est sans doute la mort de Moïse. Mais celle de la calomnie de Miryam (va-tedaber miriam) envers Moïse posséde aussi la consistance d’une véritable formation midrashique. Ces formations se caractérisent par le nombre des intervenants à la discussion, par la pluralité des niveaux de sens, etc. En un mot elles structurent le champ du Midrash. Ce dernier nous signale par ces formations un contenu particulierment important de la pensée rabbinique. Il faut donc se faire à cette idée: la calomnie de Miryam vise bien autre chose qu’une simple anecdote entre une sœur un peu bavarde et son frère, fut-il Moïse. Elle renvoie à la révolte religieuse et à la mauvaise interprétation de la parole de Dieu.

Maurice Mergui

Traduction de Sylvie André